par jack de Nazareth

mardi 21 octobre 2008

Golden Boy

Ce récit est le 3ème volet des aventures des aventures de
"Jack de Nazareth dans le monde impitoyable du travail".

Après avoir passé 6 mois à m'occuper de mon fiston à plein temps, nous décidâmes d'un commun accord de mettre un peu de distance dans notre relation. Lui est parti tester les nerfs d'une assistante maternelle et moi, j'ai remis non sans mal mon costume d'homme normal intégré dans la société avec un emploi et tout et tout... pathétique.
Mes 2 premiers entretiens ont été catastrophiques car j'ai péché par nonchalance et surcroit d'assurance (et c'est fou ce que je peux raconter comme conneries quand je me sens trop sur de moi !). Ma troisième tentative fût la bonne puisque j'ai été contacté par une grande entreprise de banques & finances Française (que nous appellerons Superfrix), le genre de boite située dans les beaux quartiers, qui paie rubis sur l'ongle et qui peut considérablement embellir mon CV "atypique" (pour reprendre l'expression d'un recruteur), fallait vraiment pas que je loupe cet entretien...

Je me suis aperçu que  les 6 mois passés avec mon bambin n'ont pas été bénéfique pour mon corps: je ne rentrais plus dans aucun pantalon ou presque, en tous cas pas dans ceux qui m'auraient permis de me présenter pour un job. Il y a des gens qui travaillent pour s'acheter des habits, et moi je dois acheter des habits pour aller travailler. J'ai trouvé assez facilement des chemises, pantalons et veste de costard avec mon maigre budget, mais pas question d'acheter des pompes pointues juste pour me présenter devant quelqu'un qui me dira que je ne correspond pas au profil. Je me suis donc rabattu sur des chaussures noires à 20 euros achetées dans un boui-boui Montreuillois, et quelle ne fut pas mon erreur ! Pour l'aller, pas de problème. Je sentais bien une petite gêne sur l'avant du pied droit mais je mettais ça sur le compte de l'adaptation aux nouvelles chaussures (c'est la chaussure qui travaille, qu'elle dit la vendeuse).

L'entretien se passe bien: je suis à l'heure, même si la conasse du recrutement me fait poireauter 25 mn, Je m'exprime bien, j'élude avec brio les questions fâcheuses et fait mine de me passionner au monde sans scrupules des finances. Seul bémol: un test en Anglais à passer au téléphone (j'ai répondu "Bilingue" sur l'annonce) mais la personne chargée du test est absente et me contactera donc ultérieurement. Je sors de l'entretien soulagé mais légèrement anxieux à l'idée de passer le test d'Anglais et je constate effectivement que la chaussure à bien travaillé puisque je ne peux quasiment plus marcher tant mon pied droit me fait souffrir à chaque pas et comme un malheur n'arrive jamais seul, la station de métro la plus proche est fermée pour cause de déploiement massif de CRS en vue de la venue du Pape. Après 20 minutes de marche à la limite du supportable et 30 mn de métro ou je me tenais prêt à mettre un coup de boule magistral au premier crétin qui me marcherait sur les pieds, j'arrive enfin chez moi (3ème étage) pour enlever mes chaussures et constater que mes pieds sont en sang comme vous pouvez le voir sur cette photo, âmes sensibles s'abstenir



3 jours plus tard, mes pieds... non je vais arrêter de parler de mes pieds. 3 jours plus tard, je reçoit un coup de fil en Anglais et après s'être assurée que je sois capable in English de demander à une personne de rappeler ultérieurement; la société Superfrix décide de m'intégrer pour 4 mois au support technique dans le but d'assister par téléphone les utilisateurs d'une application informatique qui n'est pas encore fonctionnelle: c'est à dire que je ne branle rien, mais absolument rien de mes journées.

Nous sommes 3 intérimaires dédiés à cette fonction:.Le 1er est un jeune homme plutôt sympathique qui passe sa journée à faire des blagues au téléphone à ses potes, et joue à des jeux vidéos sur son portable. La 2ème est une femme charmante qui utilise le tel de la boite 50 fois par jours pour organiser le mariage de sa soeur, et qui a également une tendance phénoménale à dormir affalée sur son bureau au moment précis ou un manager entre dans la pièce, car on vient de temps en temps nous tenir au courant de l'évolution du logiciel, mais rien ne presse.
 
Les gens qui travaillent pour Superfrix n'ont pas de fonctions très définies: ils sont managers, managés par d'autres managers, qui ont des supermanagers, qui supervisent des collaborateurs, et des collaborateurs peuvent être également managers, et participent tous à des "projets" individuels ou communs dont on entend très peu parler. La seule certitude est que "ça avance" (ça avance? est la perpétuelle question que se posent deux managers qui se croisent, et ils se croisent beaucoup puisqu'ils prennent une pause de 15mn toutes les heures). La principale activité d'un manager est d'avoir une idée de projet une ou deux fois par an pour justifier son généreux salaire. Et là en l'occurrence, c'est un manager qui est arrivé un matin à 11h en demandant s'il était possible de créer un outil informatique permettant d'évaluer les compétences des employés de la boite (facile de deviner pour qui il vote, lui), idée qui a immédiatement séduite ses supérieurs et qui correspond parfaitement à la venue d'un plan social visant à se séparer de 2000 personnes.

Ensuite on entre vraiment dans le grand n'importe quoi: tout le monde essaie de se greffer sur le projet (car il faut avoir quelque chose a faire pour glander, ou pour ne pas se retrouver dans le plan social) et on fait appel à des prestataires externes, des chargés de comm', des intérimaires et surtout une boite d'informatique qui va créer ce fameux outil et le facturer très cher. La boite informatique a livré le logiciel à temps mais laisse un paquet d'erreurs pour que toutes les personnes travaillant sur le projet aient leur mot à dire, et je soupçonne également les informaticiens de laisser un peu trainer le truc pour gratter des sous le plus longtemps possible.

Je suis donc chargé avec mes 2 acolytes de relever ces erreurs (travail qui nous a pris une journée sur 3 semaines) et en discutant avec d'autres personnes affectées au même projet, je constate que nous sommes une dizaine à faire le même boulot sans se concerter, Le logiciel sera lancé début Novembre et le fait qu'il soit utilisé ou pas n'a visiblement pas grande importance, l'essentiel est d'avoir dépensé beaucoup d'argent pour occuper tout ce petit monde pendant 6 mois. Notre responsable nous a d'ailleurs dit qu'il nous installera des jeux lorsque nous serons en prise d'appels, ce qui laisse présager de l'intense activité qui nous attend pendant 3 mois

J'ai donc l'impression d'être payé pour écrire ce billet qui n'est d'ailleurs pas très inspiré, il faut avouer que c'est finalement assez déprimant de n'avoir rien à faire du tout de sa journée et j'en ressort parfois plus fatigué que lors de mes précédents emplois...
 
Ma journée type chez Superfrix:
 
09h05: J'arrive à mon bureau
09h25: Arrivée de ma collègue
09h40: Arrivée de mon 2ème collègue
09h50: Arrivée de notre responsable, départ vers la cafétéria afin de définir les objectifs de la journée autour d'un expresso.
10h15: Retour de la caféteria, pause clope.

10h30: Bureau (lecture du journal & mails perso)
11h15: Pause clope
12h00: Pause déjeuner.
13h00: Expresso à la caféteria
13h15: Promenade dans le quartier & shopping
13h45: Retour au bureau (consultation U-tube & Wikipedia)
14h45: Pause clope
14h55: On s'en grille une deuxième ?
15h10: Bureau (activités libres: internet, téléphone perso ou sieste)
15h22: Mon téléphone sonne, c'est une erreur
16h00: Pause clope.
16h15: Bureau (recherche d'emploi en ligne, bilan de la journée)
17h00: Fin de la journée

Quelques observations en vrac:

Superfrix préfère déménager 500 employés plutôt que refaire la déco d'un immeuble
C'est vachement sympa, un bureau avec vue sur la tour Eiffel
Tout le monde se tutoie chez Superfrix, on ne te laisse pas le choix.
Je ne reçois jamais d'emails d'informations sur les projets ou activités de la boite.
Il faudrait quand même un jour qu'on m'explique à quoi ça sert d'être en costume cravate pour bosser dans un bureau ou personne ne te vois.
On s'habille "décontracté" le vendredi, ils sont vraiment cons ces Américains.
Il y a une centaine de bureaux occupés mais on entend jamais un téléphone sonner.
Je passe 50% de mon temps à faire des choses personnelles et 40% en pause.
On mange vachement bien à la cantoche, et c'est pas cher en plus.
Je dois faire valider ma feuille d'heures par 3 services différents.
Je dois faire valider ma feuille d'heures par 3 services différents.
Je dois faire valider ma feuille d'heures par 3 services différents.
Il y a un seul maghrébin et une seule black dans l'immeuble, ce sont mes 2 collègues intérimaires.
Le budget servant à éclairer les nombreux bureaux vides suffirait à combler ma dépense en électricité annuelle.
Le gars du bureau 2067 est super fort à Tetris.
Etre payé à ne rien faire peut provoquer des tendances suicidaires.
Mon pied droit se porte mieux, merci.

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