par jack de Nazareth

jeudi 18 février 2010

Jesus, mais j'avale pas

Bonjour mes chers disciples, ceci est le premier volet des  
Aventures de Jack de Nazareth dans le monde impitoyable du travail.

Oui, je sais que le 2ème et 3ème volet de mes tentatives d'insertion sociale ont déjà étés publiées sur ce blog divin, mais Georges Lucas à utilisé le même procédé chronologique  et personne ne lui en a tenu rigueur, j'écris quand j'ai du temps libre et il se trouve que j'ai un peu de temps libre puisque j’ai un emploi actuellement (voir épisode 3 en bas de page).
 
Nous sommes donc en Octobre 2005 (pas maintenant, couillon, à l'époque des faits) et je suis dans une situation assez pesante: tout ce que j'avais construit, ou essayé de construire ces 10 dernières années dans la musique s'est plus ou moins écroulé sur ma tronche, et je me retrouve sans argent, sans contrat, sans groupe et sans projet. C'est peut-être le moment idéal pour faire un break et réfléchir à mon avenir, et c'est en général dans ces moments là que viennent les idées les plus connes. Mais comme je déteste réfléchir le ventre vide, et qu'il faut de l'argent pour manger, je décide donc de chercher un job histoire d'alimenter mes fidèles amis ASS & DICK, bien plus généreux que mon pote RéMI.
 
Chercher un travail n'est finalement pas très compliqué: il suffit de se lever tôt le matin vers 11h30 et de poser ses fesses devant son ordinateur avec café, jus d'orange et tartines pour consulter les nombreux sites d'annonces en ligne (faites cependant attention aux miettes qui tombent entre les touches du clavier). Si vous n'avez pas de chance, votre téléphone se met à sonner environ 53 minutes après l'envoi de vos candidatures et c'est là que les ennuis commencent: Vous avez rendez-vous le lendemain matin à l'autre bout de la ville et, si vous avez été un jour chômeur professionnel comme moi, la perspective de devoir s'habiller, se raser, mettre des chaussures et prendre le RER correspond scrupuleusement à la vision que vous vous faites de l'Enfer...
 
J'ai répondu à l'annonce d'une boite intérim proposant une formation rémunéré en télécommunication & marketing de 3 semaines, suivie d'une mission de 6 mois dans le domaine de la presse junior afin de vendre des abonnements par téléphone. La formation se passe bien: nous sommes une dizaine de tous âges et de tous bords et l'ambiance est assez conviviale. On apprend à travers cette formation qu'il veut mieux éviter d'utiliser des mots comme "catastrophe, problèmes, Chikungunya, guerre thermonucléaire, jeunes de banlieue, Raymond Domenech, infarctus du myocarde, etc..." car cela influe négativement sur l'inconscient du client et vous risquez de rater une vente. Vous l'avez compris: il faut toujours positiver et garder le sourire, car le sourire s'entend au téléphone ! Après ces 3 semaines de lavage cérébral, nous voilà parachuté, mes nouveaux collègues et moi dans cette fameuse boite de presse, qui s'avère être une maison de presse religieuse... j'ai donc du cacher mon double maléfique Jack de Nazareth pendant 6 mois, pour ne pas brusquer la conscience de ces pauvres brebis égarées dans la grande entreprise mercantile et sournoise que l'on nomme Christianisme
 
Nous sommes pris en charge dès notre arrivée par notre futur superviseur, une femme un brin sadique et dominatrice, qui semble vouloir toute sa vie paraître 30 ans, avec une voix de crécelle insupportable, partageant la vie d'un homme de 60 ans qui à déjà des enfants ayant quasiment le même âge qu'elle (homme visiblement aisé vue les différentes paires de bottes et autres tenues qu'elle renouvelle régulièrement). Et merde, encore une chieuse ! J'apprendrai d'ailleurs bien plus tard qu'elle s'envoyait en l'air avec un cadre de la boite (je suis comme d'habitude le dernier au courant), ce qui la rend finalement bien plus humaine, voire sympathique à mes yeux. Cette chienne infidèle (que nous appellerons "Cyprine" afin de préserver son anonymat) nous dispense alors une formation à toute épreuve: Elle nous boucle dans une salle sans fenêtre, nous balance une quinzaine de magazine sur la table en nous demandant de les apprendre par coeur et part fumer tout son paquet de clopes. Après 3 jours de garde à vue, nous sommes rassemblés sur un petit plateau de call-center afin d'effectuer nos premiers appels, et je ne vous cache pas qu'une certaine anxiété gagne petit à petit notre groupe, sauf pour ceux qui ont déjà effectués ce type de job merdique. Nous sommes disposés en U, Cyprine trône magistralement sur son bureau central avec un casque sur les oreilles pour nous écouter et invective ses dernières recommandations avant de nous envoyer au casse-pipe: "Allez ! Tout le monde se motive ! Vous devez vendre, vendre, vendre ! Et faites cracher la CB, je veux pas de chèques, que de la CB !" On ne m'enlèvera pas l'idée que ce discours ne semble pas très catholique dans la prétendue maison du seigneur...
 
Je suis donc devant mon écran avec un casque sur les oreilles et je retarde au maximum le moment fatidique en faisant mine d'étudier le script de vente. Je suis en fait en train d'essayer de trouver une porte de sortie, mais la connexion à Google, Hotmail et autre MySpace est vérouillée... diable, je suis fait comme un rat ! C'est le moment que choisi Cyprine pour me faire remarquer que je suis le dernier à ne pas être en appel (grâce à Big Brother, son diabolique écran de contrôle) et je suis donc bien obligé de me lancer. Je clique sur l'icone de prise d'appel tout en cherchant du regard une éventuelle fenêtre ouverte dans l'immeuble alors que la tonalité d'appel commence son compte à rebours infernal. Au bout de la troisième sonnerie, une femme décroche et je vois une fiche apparaître sur mon écran avec le nom de la personne en question:
- Allo ?
- Oui... bonjour... euh... vous êtes madame machin ?
- Oui, qui est-ce ?
- Euh... je suis la société truc, vous allez à l'église ? Vous aimez faire quoi à l'église... euh... ça  va ? Vous avez des enfants ? Voulez-vous les abonner à "Je kiffe Jésus magazine ?".
- Non, merci, mes enfants sont grands maintenant, ils ne s'intéressent à rien, au revoir !
 
Je raccroche soulagé en me disant quand même que je suis dans une sacrée galère et que la journée va être longue. A peine le temps de souffler qu'un nouvel appel est déjà lancé automatiquement. Quelqu'un décroche, mais ne me sentant pas près, je lui raccroche au nez. Un nouvel appel est déjà lancé et je commence à paniquer: Putain, mais ça s'arrête jamais, ce truc ? Et je tombe heureusement sur un répondeur, ce qui permet de reprendre mes esprits en écoutant le message (et je ne vous raconte pas le nombre incalculable de répondeurs avec qui j'ai conversé pendant 6 mois). Pendant ce temps, plusieurs de mes collègues lèvent la main à tour de rôle: ils ont fait des ventes alors que je me continue à bégayer au téléphone et me fait systématiquement rembarrer à chacune de mes tentatives. Cyprine commence à débriefer mes collègues en individuel (en pause, histoire de fumer sa clope) et me demande de la suivre pour faire le point.

Elle me sort niaisement son discours formaté tout en essayant d'y mettre un peu de compréhension et d'humanité (en fait, elle est en train d'utiliser ses foutues techniques de comm’ sur moi, en accentuant notamment cette fameuse empathie qui permet de se rapprocher des gens) et je hoche mécaniquement la tête en pensant au film que j'ai regardé la veille et si les seins de Cyprine sont 100% naturels. J’entends néanmoins des bribes de phrases pendant mes divagations:"... si le client n'a pas d'enfant, demande lui s'il a des cousins... un petit fils pour lui offrir le magazine... parrainer un orphelin de l'assistance publique... soit plus motivé... il faut vendre..."
Elle me propose aussi pour me mettre plus à l'aise de prendre un pseudonyme, de jouer un rôle tout en me faisant remarquer que mon nom à consonance allemande n'est peut-être pas très "vendeur". Je lui rétorque que les allemands et l'église avaient l'air de bien s'entendre sous le IIIème Reich et nous finissons la conversation (enfin je la termine tout seul car lorsque Cyprine est contrarié, elle change de sujet ou se tait complètement) en lui expliquant mon aversion envers la religion et plus particulièrement ceux qui l'exploite à des fins politique ou pécuniaires. 

Quoi qu'il en soit, la campagne de lancement de ce magazine religieux destiné aux adolescents est un bide: le magazine est bimestriel alors que le paiement s'effectue par virement trimestriel (rien que d'expliquer cela à un client prend une heure), les dessins sont moches et les histoires ne sont pas adaptés à la réalité d'un jeune de 13 ans. De nos jours, les ados pensent franchement plus à fumer leur premier joint et à tirer leur coup qu'à aller tous les dimanches à la messe. Ah bon ? Ils ne sont pas tous comme ça ? Ah non, il y en a aussi qui passent 8 heures par jours devant leur PC pour chatter avec le voisin d'en face.

Deux mois plus tard, et après avoir perdu quelques collègues en route, nous sommes détaché sur une "opération anniversaire" qui consiste en gros à enfiler le client sans vaseline, puisque nous appelons des gens (qui sont déjà abonné ou l'ont été) quelques jours avant le futur anniversaire de leur(s) enfant(s) en proposant un abonnement au choix dans toute la gamme de presse jeune selon l'âge; ce qui laisse au vendeur un champ d'action bien plus élevé s'accompagnant de primes à la vente très alléchantes. L'argument est simple: l'enfant reçoit son premier magazine le jour de son anniversaire accompagné d'un cadeau et est bien sur abonné pour un an avec un tarif préférentiel. Le problème est que le tarif de l'abonnement est le même que d'habitude et qu'en achetant chaque mois le même magazine en kiosque le client reçoit systématiquement un cadeau, ce qui fait 12 cadeaux sur l'année au lieu d'un seul pour l'abonnement.

Enfin j'étais quand même plus détendu avec ce type de ventes car la clientèle était à 90% féminine et les discutions autour des enfants étaient beaucoup plus agréable, surtout lorsqu'il s'agissait en préambule de faire sauter le verrou du mâle dominant qui décroche sûr de lui:
  - Monsieur Dugland ? Bonjour, je suis Jacques Meunier de la société "bazar presse" je souhaite parler à Mme Dugland s'il vous plait...
- Elle n'est pas là, et qu'est-ce que vous lui voulez à ma femme ?
- Tout simplement m'entretenir avec elle sur nos revues et livres monsieur Dugland
- Et bien cela ne nous intéresse pas je vais raccr...
- Je suppose donc que c'est votre femme qui participe à l'éveil littéraire de vos enfants. Est-ce que le petit Thomas à apprécié notre Hors série spécial noèl ? Vous avez fait le petit montage du château en carton en famille ?
- Euh... je...
- Vous discutez parfois avec votre fille Eloise des histoires de petit piroukou ? je vois que vos deux enfants sont abonnés depuis 3 ans ! C'est très important qu'ils se passionnent pour la lecture de nos jours, ce sont des valeurs qui se perdent malheureusement. Vous devez être très fier !
- oui... euh... effectivement... mais je crois que c'est plutôt ma femme qui s'occupe de ça...
- très bien monsieur Dugland, alors je ne vais pas vous déranger plus longtemps et m'entretenir avec votre femme !
- oui, merci je vous la passe.
 
Le mâle dominant obtempère, un brin humilié par le fait qu'un branleur du télémarketing lui rappelle qu'il n'a pas été foutu d'ouvrir un livre avec ses gosses depuis trois ans (alors que c'est lui qui paye) et s'en va se servir un ricard avant de se vautrer sur son canapé et s'endormir devant Sochaux - Le Mans dont le score sera certainement 0-0, encore une belle soirée en perspective.
 
L’avantage de ce type d’opération est que cela rapportait plus de primes et que certaines conversations avec des jeunes mamans étaient assez sympathiques, d’autant que ma douce était enceinte à cette période et je baignais donc du matin au soir dans un état d’esprit qui me permettait d’oublier un peu la pénibilité du travail. Cela m’a beaucoup aidé dans le choix d’un futur prénom pour notre progéniture en excluant immédiatement tous les noms à consonance bretonne (Ilan, killian,…) car j’en avais 25 par jour sous les yeux. Nous étions en pleine période « seigneur des anneaux » et je tombais de ce fait régulièrement sur des Aliénor, Galadriel, Merlin… j’imagine les dégâts qu’à du faire la double trilogie Star Wars chez les futurs parents !
Mais comme toutes les (relatives) bonnes choses ont une fin, Cyprine nous rassemble à nouveau à la fin de cette campagne pour nous briefer sur notre prochain objectif qui vise le fleuron, que dis-je la quintessence de la presse religieuse : LES VIEUX.
 
Autant te le dire tout de suite cher lecteur, je déteste les vieux. Mais étant un homme de défi, je me suis fait violence et mis mes aversions de côté pour m’acquitter de cette tâche ô combien ardue avec toute l’élégance et le professionnalisme (et la modestie) qui me caractérise. Et au cas ou vous avez eu la chance de n’avoir jamais croisé un vieux, nous allons prendre quelques minutes pour décrire ce fléau de plus en plus répandu :
- Les vieux détestent tous ce qu’ils ne comprennent pas ou qui n’est pas relatif « à leur époque »
- Les vieux puent en général, surtout en été (et surtout si on vient les chercher dans leur appartement 3 semaines après une canicule).
- Les vieux disent toujours que « c’était mieux avant » même s’ils ont de moins en moins de souvenirs « d’avant »
- Lorsque tu es très pressé, tu trouves toujours un vieux pour te barrer la route.
- Le vieux te demande (ou te bouscule) pour passer devant toi à la caisse pour ensuite compter sa monnaie pendant 20 minutes.
- Les vieux sont des dangers publics au volant, et on les autorise même à rouler avec des voitures sans permis.
- Les vieux ne sont ni riches ni sexuellement actifs, ce qui les rend parfaitement inutiles dans notre société.
- Les vieux ont toujours un avis sur tout et lorsque tu argumentes ils répondent en général par « oh vous savez, de toutes façons, hein ! » (ce qui ne veut absolument rien dire).
- Les vieux ne sont pas de très bons combustibles et il est très difficile d’alimenter une chaudière tout un hiver avec.
- Les vieux coûtent très chers à la Sécu, heureusement qu’il existe encore des maisons de retraite qui les maltraitent comme ils le méritent.
- Les vieux sont de plus en plus nombreux alors qu’ils ne se reproduisent pas. Bizarre, non ?
  
Comme la plupart des personnes âgées sont à moitié sourdes et aveugles, la tâche consistant à les prospecter par téléphone pour leur vendre de la lecture relève presque de l’exploit. C’était un peu déprimant au début mais l’expérience acquise m’a permit de passer outre les barrages systématiques et puisque j’avais vendu mon âme pour un salaire, autant jouer tous les coups à fond. Afin d’attaquer chaque conversations avec le sourire, je m’étais attribué toute une batterie de pseudo (Steeve Loviniou, Jean Peuplu, Michel Mabelle, Jean Claquin, Bernard Devivre, David Grenier, Eric Hochet, Sebastien Lebien, Martin Tamarre. Hubert Allès, Hubert linois…) et ne relevait presque plus lorsque la personne au bout du fil m’annonçait une maladie ou un décès:
- Monsieur Levieux ? Bonjour je suis Charles Manson de la société machin, je souhaite parler Mme Levieux s’il vous plait.
- Oh mon pauvre ami, ma femme est décédé il y a deux mois…
- Très bien Monsieur Levieux, puisque vous êtes seul à présent j’imagine que vous devez avoir du temps libre pour lire ? Avez-vous pris connaissance de l’offre exclusive que nous vous proposons pour vous réabonner ?
- Euh… non, je… de toutes façons j’y vois plus bien clair pour lire vous savez.
- Je comprends Monsieur Levieux, vous avez des enfants ? Des petits enfants ? Ils pourraient grâce à notre magazine venir vous faire la lecture des articles, cela vous permettra d’échanger en famille sur le thème de la religion. Avec le drame que vous venez de vivre, c’est un sujet qui doit vous être cher ! 
 
Certains disent oui juste pour que tu leur lâche la grappe, d’autres disent oui de peur de passer pour des « mauvais catholiques ». C’est vrai qu’il serait dommage de brûler en enfer juste parce qu’on a refusé de s’abonner à une revue religieuse… Oui je sais, c’est ignoble. Et c’est dans ces moments là que Cyprine se montre soudainement tactile et glisse dans mon oreille des mots doux pour me congratuler… c’est vraiment un drôle d’univers, tu es considéré si tu es un bon vendeur et sinon à la fin du mois, la porte est juste là au bout du couloir. Au revoir et merci, un autre connard prendra ta place. Faut surtout pas être sentimental ou humain, il faut juste faire chier des gens pour leur vendre quelque chose qu’ils ne désirent pas forcément. 
 
« La civilisation crée plus de besoin qu’elle n’en comble » disait Bernard Grasset.

Le télémarketing en est une illustration parfaite.

Amen
(Désolé pour les fautes d'orthographes, de grammaire ou de syntaxe; Ma secrétaire est en congé maternité).
Episode 2 

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